Présentations - session 3

Présentations orales - gestion du risque

Lundi 13 mai - 14h00 - 15h00
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VigiFlood: un jeu sérieux pour sensibiliser à la difficulté d’alerter en cas de crue rapide
Carole Adam - Univ. Grenobles Alpes, LIG, Grenoble, France

Mots-clés : Flash floods, early warning, crisis communication, trust, agent-based modelling and simulation, serious game

Résumé : VigiFlood est un jeu sérieux dans lequel le joueur est responsable de choisir le niveau de vigilance inondations `a partir d’indices incertains, et observe les réactions de sa population. Il est basé sur des données réelles du département de l’Aude après les inondations d’Octobre 2018

Contexte 
Nos sociétés font face à des crises de plus en plus fréquentes (désastres naturels, attaques terroristes, épidémies, accidents industriels, etc). Pendant de tels événements, la population a accès à de multiples sources d’information (y compris les images et vidéos partagées par d’autres citoyens) ce qui peut créer de la confusion et une surcharge mentale. En conséquence, les citoyens n’entendent ou n’écoutent pas toujours les messages officiels, peuvent les ignorer ou ne pas avoir confiance, et avoir des réactions inappropriées (panique, attendre de voir, imiter la foule, etc). Les gestionnaires de crise sont donc formés à la communication de crise et apprennent `a communiquer de manière opportune et crédible tout en tenant compte de la psychologie de leur audience, afin de maintenir leur confiance et de bonnes relations. 
Une question centrale est celle du bon moment pour alerter la population au sujet d’un désastre naturel prédictible. Si l’alerte arrive trop tard, la population n’a pas le temps de se préparer et d’évacuer, ce qui peut causer de nombreuses victimes. Mais d’un autre côté, il est difficile d’alerter suffisamment tôt sans risquer des erreurs et fausses alertes occasionnelles. Or de nombreuses fausses alertes peuvent à terme réduire la confiance des populations dans ces alertes et les conduire à les ignorer dans le futur. 
Par exemple en Octobre 2018, de fortes pluies ont sévi dans le département de l’Aude, créant des crues d’une intensité rare. Le dimanche 14 octobre, le niveau de vigilance crues et inondations était orange (3 sur 4). Cependant, la population de cette région est habituée à être en vigilance orange pour cette raison en cette saison et ne s’est pas alarmée. Le niveau de vigilance a été relevé au niveau rouge (4 sur 4) à 6h le lundi 15 octobre matin, bien trop tard : de nombreuses villes et villages étaient déjà inondés, avec de nombreuses victimes et des dégâts importants. Les autorités et le système de vigilance de Météo France ont donc été très critiqués à cette occasion (par exemple dans Libération le 15 octobre: https://goo.gl/S1J91k). 
Le problème est que ce phénomène était difficile à prédire, empêchant de lever la vigilance rouge dès le dimanche, mais que d’un autre côté la population est trop habituée à la vigilance orange qui a donc perdu son efficacité. Nous pensons qu’il y a 2 moyens d’attaquer ce problème d’habituation : entraîner les services d’alerte à utiliser le niveau de vigilance orange avec précautions pour éviter les fausses alertes ; et sensibiliser la population à la difficulté de la prédiction et de l’alerte, pour les responsabiliser quant à leur rôle à la réception des alertes. 
Pour cela nous proposons un jeu sérieux, VigiFlood, dans lequel le joueur tient le rôle d’un communicateur de crise chargé de décider du niveau de vigilance à communiquer à la population, en se basant sur des prévisions météorologiques incertaines. Le joueur observe ensuite les réactions de la population pour adapter sa stratégie ultérieure. 


Le jeu 
Dans VigiFlood, le joueur prend le rôle du communicateur d’urgence, et doit à chaque tour définir le niveau de vigilance (vert, jaune, orange, rouge) en fonction de prévisions météo incertaines. La population constituée d’agents autonomes hétérogènes réagit aux alertes reçues ainsi qu’à l’observation directe du phénomène météorologique le lendemain. Son niveau de confiance dans les alertes reçues évolue dynamiquement en fonction de cette comparaison. Leur décision d’évacuer ou pas dépend de leur évaluation subjective du risque, qui est calculée en fonction de l’alerte reçue (dont le poids dépend de la confiance accordée) mais aussi de leur mémoire des événements passés (phénomène d’habituation). Ce risque subjectif est comparé avec leur niveau de risque toléré pour prendre une décision. 
À la fin d’une partie, le joueur reçoit un débriefing sous la formes de statistiques, pour lui permettre d’analyser ses actions. Les statistiques sur la population concernent le pourcentage d’habitants conscients des risques; la moyenne de risque subjectif (pluie attendue) pour chaque niveau de vigilance; la confiance moyenne et son évolution avant/après la partie (impact du joueur); et le pourcentage moyen d’évacués. Les statistiques de communication comprennent le nombre total de jours joués ; le nombre d’alarmes pour chaque couleur de vigilance ; le nombre de fausses alarmes (oranges et rouges) levées alors qu’il a plu moins que prévu ; et le nombre d’alarmes ratées (oranges et rouges) non levées alors qu’il a plu plus que prévu. 
Ce jeu est implémenté en Python (environ 1800 lignes de code). Il utilise des données réelles de pluviométrie à Carcassonne, et de vigilance inondation sur le département de l’Aude, entre 2010 et 2018. Il est disponible en anglais et français. Outre le mode jeu, il propose un mode visualisation des données, et un mode jeu automatique. L’implémentation d’une première version est totalement fonctionnelle, mais est cependant encore peu ludique (un seul rôle, peu d’actions possibles...). Le jeu est donc encore en cours d’amélioration et n’a donc pas encore été diffusé ni évalué avec des utilisateurs. Les évaluations prévues prochainement devront déterminer d’un côté le potentiel d’engagement du jeu (immersion, aspect ludique...) et de l’autre côté son impact sur la sensibilisation au risque et les intentions d’action en cas d’alerte. 

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De l’incertitude au risque : apprentissages autour de la réhabilitation des preks dans la région de Kandal (sud Cambodge)
William’s Daré, Etienne Delay, Jean-Philippe Venot

Après le régime des Khmers rouges, une période de re-construction nationale de grande envergure a vu le Cambodge s’inscrire pleinement dans le paradigme de "l'eau moderne" (Linton 2010). Cela a été rendu possible notamment grâce à la modernisation des infrastructures hydrauliques avec l'appui des bailleurs de fonds internationaux. Dans un contexte où l'eau est tantôt surabondante, tantôt déficitaire, l'objectif de l'Etat était de maîtriser pleinement les ressources et d'en orchestrer l'abondance de manière à accroître la productivité agricole (Bookchin 1977). Cette "modernisation" vise à orienter le Cambodge dans une dynamique de mondialisation poussant les agriculteurs locaux à s'engager vers une augmentation de productions destinées à l'exportation vers la sous-région ou l'Europe.
En aval de Phnom Penh, le contrôle de l'eau peut être considéré comme un poison et un antidote (Bookchin 1977). Celle-ci doit être évacuée le plus rapidement pour accélérer la mise en culture et prolonger ainsi la période culturale. Mais, en même temps, il est nécessaire de la stocker pour les cultures pendant la saison sèche. Traditionnellement, les agriculteurs s’organisaient collectivement pour réaliser de petits ouvrages permettant de ralentir la submersion ou stocker l’eau. La réhabilitation de canaux d’irrigation et drainage en terre, appelés localement Preks et datant de la fin du 19ème siècle, se traduit aujourd’hui par l'établissement de barrières physiques dans un paysage auparavant continu. Cette discontinuité, créée artificiellement, et ce contexte d’intensification de la production risquent de conduire à l'individualisation des pratiques et de menacer les biens communs qui composent cet espace. 

Avec l'Université Royale d'Agriculture (RUA) et l'Irrigation Service Center (ISC ; ONG cambodgienne), deux organismes de recherche français (Cirad et IRD) ont participé au développement d'outils participatifs innovants (jeux sérieux) pour discuter des différentes options de développement des infrastructures au niveau local et provincial et de leur dimension environnementale, tant en termes de justice distributive - comment les coûts et opportunités de chaque option seront répartis sur le territoire et sur la société ? - et procédurale - quelle place les préférences des agriculteurs doivent-elle avoir dans les choix d’infrastructures et la gestion des eaux ? ? 

Un jeu a été développé dans le cadre d’une approche de modélisation d’accompagnement (ComMod ; Etienne et al. 2013). Le plateau de jeu représente les espaces écologiques des terres hautes (chamkar) et inondables (boeung) le long et entre plusieurs preks sur la partie sud de la rivière Bassac. Les terres le long des preks sont inondées saisonnièrement en raison d’une pluviométrie plus ou moins abondante et d’un niveau haut des eaux dans la rivière (intensité) et plus ou moins longtemps présente sur les parcelles (temporalité). D’un point de vue social, deux types d’acteurs sont représentés : des usagers directs (agriculteurs, pour l’instant) dont les activités agricoles sont impactées par les dégradations des sols (suite aux inondations), et des décideurs politiques en charge de la réhabilitation des preks et aménagements hydrauliques du territoire. Les usagers directs ne sont pas des joueurs alors que les décideurs sont physiquement présents. Une des originalités de ce jeu est de représenter physiquement les réseaux sociaux des usagers au sein desquels se diffuse le « mécontentement » suite aux conséquences des inondations sur leurs activités. 

Après une première analyse des pratiques agricoles, une première session de jeu a été menée, en octobre 2018 avec des responsables des ministères en charge de la réhabilitation des preks, du bureau d’étude en charge des études de faisabilité, et de l’AFD (qui finance ces réhabilitations). Les échanges réalisés entre les joueurs ont permis de montrer l’intérêt de penser ce territoire de façon intégrée et de reconsidérer la solidarité socio-environnementale et les risques d’envisager cet espace uniquement comme une simple succession de canaux isolés. A terme, l’objectif de l’usage du jeu est d’influencer les modalités actuelles de réhabilitation de ces preks afin de mieux prendre en compte voire de renforcer les communs que constituent ce territoire.

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Transfert de connaissance et démarches participatives autour d'un jeu de sensibilisation environnementale : ateliers de formation et débats sur le risque de submersion dans l’implémentation d’une politique publique
Marion Amalric, Elise Beck, Nicolas Becu et le collectif LittoSIM

Les conséquences de Xynthia, survenue en 2010 sur le littoral atlantique, ont révélé l’existence de lacunes en termes de connaissances sur les risques et sur les différentes stratégies de prévention, notamment auprès des acteurs locaux. Dans ce contexte se pose la question de la sensibilisation des élus et techniciens des collectivités locales en charge de la gestion du risque de submersion. Comment les sensibiliser aux différentes actions préventives possibles en termes d’aménagement du territoire, notamment dans un contexte de changement climatique ? Comment leur permettre de mesurer les effets de leur stratégie sur leur territoire ? Comment les amener à entrevoir d’autres formes de collaboration intercommunales ? Pour répondre à ces défis, un dispositif participatif qui met les acteurs locaux en situation de gérer un territoire communal a été mis en place en 2017-2018 à Oléron. Le dispositif comprend un jeu sérieux pour reproduire les interactions sociales entre acteurs, une reproduction de l’aménagement du territoire (PLU) et une modélisation physique de la submersion marine. Ainsi, les utilisateurs sont en mesure de tester différentes stratégies d’aménagement du trait de côte et de l’arrière-pays, d’en observer les modalités de mise en œuvre, avec leurs atouts et leurs inconvénients. Ludique et pédagogique, le dispositif est mis en œuvre au travers d’ateliers de formation d’une demi-journée (4 ateliers ont été déployés à Oléron). Les participants, élus et agents, sont répartis en équipes qui sont chacune amenées à gérer une partie du territoire via des actions de modification de l’occupation des sols, de construction du bâti et de protection du littoral. La survenue aléatoire de submersions leur permet d’observer les effets des actions mises en œuvre. L’atelier est suivi d’un débriefing qui permet aux joueurs de revenir sur ce qui vient d’être expérimenté. Un suivi des apprentissages auprès des participants a été mis en place (enquêtes avant/après) et un débat entre gestionnaires et scientifiques a été organisé à l'issue des ateliers pour prolonger la formation.
La présente communication propose une réflexion sur les effets d'une formation sur la prise de conscience des actions possibles de gestion du risque de submersion des littoraux français métropolitains dans un contexte de changement climatique. Seront présentés les apports de la séance de débriefing telle qu'elle a été mise en place dans cette expérience de formation, ainsi que l’intérêt de la forme du débat organisé a posteriori entre scientifiques et gestionnaires. Un débriefing d’une durée d’une heure fait suite à chacun des quatre ateliers de formation organisés en 2017. L’entièreté des formations est enregistrée, le temps du débriefing fait l’objet d’une gestion par l’animateur du jeu en trois temps : la description des stratégies mises en œuvre à l’échelle communale par chaque équipe, la manière dont les coopérations intercommunales ont vu le jour et se sont développées, et la comparaison entre ce que le jeu propose et la réalité vécue par les participants. Une prise de notes sur le vif par un autre membre de l’équipe de recherche complète le dispositif. Le débat, quant à lui, est organisé en 2018, une année après les ateliers. Y sont conviés l’ensemble des participants du jeu et, plus largement, les acteurs de la gestion des risques au niveau régional, voire national. Le débat est structuré en dix « questions » qui figurent sur les invitations et les programmes. Pour y répondre, dix spécialistes sont choisis pour leurs compétences et la diversité des disciplines représentées : océanologues, géomorphologues, géographes, politistes, économistes, aménageurs… Un tiers-acteur est constitué par l’équipe de scientifiques et de décisionnaires en charge du projet LittoSIM (la communauté de communes et le pays, les chercheur.es du consortium), qui, bien que compétent sur les sujets abordés, reste en retrait lors du débat. Ce débat intitulé « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le risque de submersion sans jamais oser le demander » est organisé en deux phases, dont la première est la plus originale. À partir des commentaires énoncés, des questions posées et des discours recueillis lors des ateliers, des questions formulées de façon volontairement provocatrice [l’inspiration de ce mode de questionnement était celui de l’émission de radio « Maman, les p’tits bateaux » (France Inter) où des enfants posent des questions, parfois naïves, mais souvent complexes ou plus profondes qu’elles n’y paraissent, auxquels des scientifiques de toutes disciplines répondent à l’antenne en 4 à 5 minutes] sur la gestion du risque de submersion sont soumises aux scientifiques (accompagnées de l’ensemble thématisé des réflexions issues des ateliers pour ne pas sortir les phrases de leurs contextes). Deux scientifiques (un répondant principal et un secondaire, déterminés à l’avance) sont chargés de répondre en quelques minutes à chacune d’elle (sans diaporama). Une universitaire, extérieure au projet mais maîtrisant le sujet, organise et relance le débat. Ce dispositif permet d’inciter les scientifiques à répondre aux questions soulevées spontanément dans les débriefings, même lorsque le sujet est « délicat ». Par exemple, les ateliers conduisaient les joueurs à réfléchir sur la relocalisation des habitants dans le cadre des stratégies de recul stratégique et l’une des questions, a été relayée par l’animatrice, alors que le sujet est sensible et rarement abordé dans un cadre « public ». Un second temps du débat donne la parole à la salle et permet aux participants de rebondir sur les propos des intervenants.
La communication présentera d’une part les méthodes déployées pour animer la simulation participative (débriefing) et pour l’inscrire à plus long terme dans une démarche de transfert de connaissances (débat). Le débat organisé permettrait de dépasser le premier niveau de transfert de connaissances que constituaient les ateliers, en disposant des remarques et questions comme d’un questionnement à adresser à des scientifiques en dehors du dispositif LittoSIM, à un deuxième niveau. D’autre part, la présentation montrera que le transfert de connaissances dans les cas décrits ici, conduit à une hybridation des savoirs expérientiels, « techniques » et « scientifiques » (Petit, 2011) en faisant échanger les différents acteurs, dont les acteurs-scientifiques, sur les connaissances qu’ils avaient et sur leur mobilisation dans la gestion des territoires soumis au risque.
Temps de débriefing à la fin d’un atelier LittoSIM